-ANACR du FINISTÈRE-


Fête de la République – 21 septembre 2011
Quimper

Jean-Jacques Urvoas

Mesdames, Messieurs,
 
Voici donc plus de 2 siècles que la République se construit et se renouvelle en se fondant sur ses valeurs. Celles-ci ne se sont pas imposées aisément. Elles ont parfois divisé les Français avant de les réunir car notre pays est, depuis deux siècles, la terre promise des passions idéologiques. Dans aucune autre nation, les débats n’atteignent ce stade toujours polémique, souvent intellectuel, fréquemment convulsif.
 

L’Angleterre a inventé le Parlement, les Etats-Unis ont inauguré une forme de démocratie, la France a proclamé les Droits de l’homme mais aussitôt distingué la droite de la gauche. Elle voulait ainsi désigner l’objectif dès le départ mais creuser simultanément les clivages.
Ainsi depuis deux siècles, notre doux pays a été traversé, soulevé et scindé par des enthousiasmes et des fureurs idéologiques. Terre d’idées et de principes, en France, on ne plaisante pas avec les valeurs politiques. La construction de la République s’est évidemment nourrie de cette longue marche. La plupart de ses valeurs se sont forgées dans les combats parlementaires qui traversent notre histoire et qui marquent notre mémoire.
Comment ne pas commencer par la nuit du 4 août 1789 ?
En six heures, l’Assemblée constituante abolissait l'ensemble des privilèges en usage depuis près de 800 ans. Un système social s’effondrait.
Pendant toute une nuit, à quelques lieues à peine du château où dormait Louis XVI, les députés concrétisaient une idée que le très riche duc d’Aiguillon avait lancé la veille devant le club breton. Pour la première fois, la force de la loi s’opposait à la loi de la force. Ainsi, dès le départ, l’idée républicaine se nourrissait de la volonté d’égalité.
C’est la même aspiration qui emporta l’esclavage sous la 2
ème République. Ce ne fut certes pas une loi qui le proclama, mais un décret daté du 27 avril 1848 signé par tous les membres du gouvernement provisoire. Mais ce fut au sein de l’Assemblée nationale constituante élue la même année que résonnèrent les premières réactions.
Le Finistère avait alors 16 représentants, pour l’essentiel issu du Léon ou de Brest. Le seul quimpérois était député, un ecclésiastique, professeur du dogme au grand séminaire, Joseph Graveran. Bien que «très charitable, ne manquant ni de talent ni d’éloquence » comme le mentionne sa biographie, je n’ai pourtant pas retrouvé de traces de son approbation de cette formidable décision de Victor Schoelcher.
Cette abolition devait permettre à la France de tourner le dos au passé afin de recomposer une société meurtrie, marquée par des siècles de servitude et de douleur. Comme l’avait dit Rostoland alors gouverneur provisoire de la Martinique « je recommande à chacun l’oubli du passé ». Heureusement le temps n’a pas recouvert la mémoire de ces crimes. L’esclavage était la négation de la République. Etre républicain, c’est reconnaitre que chaque homme est, par nature, capable de décider de son propre sort. Etre républicain, c’est considérer que la liberté n’est pas aliénable que rien ne peut légitimer que l’on en dépossède un homme comme si elle était un bien dont on pouvait se défaire.
C’est encore la foi dans la liberté que proclama la 3
ème République par l’adoption le 9 décembre 1905 de la loi organisant la séparation des Eglises et de l’Etat. Un quimpérois la vota, Louis Hémon, député républicain s’il en est. Avocat au barreau de la ville, fondateur du premier journal républicain du département, il avait déjà connu son heure de succès lorsqu’il avait pris la parole le 4 mars 1897 contre la validation de l'élection de l'abbé Gayraud, député de Brest, en tonnant contre l'ingérence du clergé dans les élections. Son intervention avait tellement marqué les esprits que, mesure rare et honorifique, la Chambre décida l'affichage de son discours.
Si cette loi déchira la France, à l’épreuve du temps, elle a montré sa sagesse, permettant à la laïcité de rassembler tous les citoyens. La laïcité est un équilibre subtil, précieux et fragile, au cœur de notre patrimoine politique. Aujourd’hui encore il ne s’agit ni de la refonder, ni d’en modifier les frontières, mais simplement de la faire vivre pour la consolider. Elle est un élément crucial de la paix sociale et de la cohésion nationale.
La 4
ème République apporta évidemment sa pierre à ce mur du progrès, notamment par la loi du 22 mai 1946. Elle généralisait l’organisation de la Sécurité sociale qui avait été instituée par une ordonnance du Général de Gaulle du 4 octobre 1945. Un texte qu’appliquera après l’avoir voté, le député de Quimper, le démocrate-chrétien André Monteil quand il sera promu ministre de la santé publique et de la population lors du remaniement du 3 septembre 1954.
Par cette loi, la Sécurité sociale était « la garantie donnée à chacun qu'en toute circonstance, il disposera des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes ». Ainsi au sortir de la plus terrifiante des guerres, une loi osait parler d'une garantie donnée « en toute circonstance ». Une loi qui fixait très haut ses exigences et qui se plaçait sur le terrain des valeurs. La concrétisation de la volonté de quelques uns qui réunis au sein du Conseil National de Résistance avaient fait le choix au moment même où beaucoup renonçaient, de répondre à la haine par un rêve solidaire, à la misère par la recherche d'un monde meilleur. Alors que le totalitarisme avait prétendu tuer l'espérance, la 4ème République faisait, par la loi, de l'espérance un droit.
De la 5ème République, je retiens évidemment la loi du 9 octobre 1981, celle de l’abolition de la peine de mort. Par ce geste, la France reconnaissait enfin que la justice, ce n’est pas la vengeance. La justice, ce n’est pas le crime qui répond au crime. C’est au contraire la force sereine du droit dressée contre la violence et le meurtre. Punir ce n’est pas venger. Tout l’honneur de la civilisation est de refuser de verser le sang et de punir avec fermeté, mais avec humanité, ceux qui enfreignent cette loi. Bernard Poignant fut de ces 363 députés qui, le 18 septembre 1981, votèrent ce texte quand 117 le refusèrent.

Un autre vote en 1986 suivra pour ratifier le protocole n° 6 additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Puis un dernier vote le 19 février 2007 pour que la France exclue définitivement même les crimes de guerre du champ de la peine de mort. Un texte que vota Marcelle Ramonet. Une longue marche pour la peine de mort illégitime en toutes circonstances soit abolie en toutes circonstances.


Ces combats pour les valeurs de notre République sont une invitation à l’engagement. Beaucoup d’autres progrès restent à conquérir pour dessiner le visage de la France de demain. Ils s’appellent sécurité sociale professionnelle, réussite de l’intégration, égalité réelle des chances, nouvel âge de l’émancipation des femmes, lutte contre toutes les discriminations, démocratie sociale… Ce sont aujourd’hui des objectifs, ils seront demain des atouts. Ce sont des projets, demain ce seront des lois et il faudra des députés pour les voter.