-ANACR du FINISTÈRE-


Charles Fournier-Bocquet, Lieutenant-Colonel FFI
Mis en ligne le 10 novembre 2018/ mise à jour le 13 août 2022
Voici comment Charles Fournier-Bocquet, Lieutenant-Colonel FFI, grande figure de l'ANACR, nous confiait sa vision de la Résistance.

Edgard DE BORTOLI

Note de Laurent Guélard webmaster : suite à un problème technique, une partie des documents est introuvable pour le moment…


SOURCE : https://maitron.fr/spip.php?article183785

FOURNIER-BOCQUET Charles [BOCQUET Charles]

Né le 12 juin 1920 à Sotteville-lès-Rouen (Seine-Inférieure, Seine-Maritime), (Fournier-Bocquet depuis la Libération), mort le 6 août 2014 à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) ; instituteur ; résistant Front national-FTPF, lieutenant-colonel FFI, combattant de la 1ère armée française au sein du 15-1, secrétaire général de l’Association nationale des Anciens combattants de la Résistance (ANACR) de 1954 à 2014 ; militant communiste.
Fils de cheminot, Charles Bocquet entra en 1936 à l’École normale d’instituteurs de Rouen, dont il sortit au printemps 1939 pour devenir instituteur, porteur des valeurs républicaines et laïques dispensées par ses maîtres et qui inspirèrent, avec les valeurs sociales transmises par son père, l’engagement de toute sa vie.
Son activité de pédagogue fut relativement courte, car la guerre avec l’Allemagne qui éclata le 3 septembre 1939, bouleversa sa vie. Élève officier de réserve comme tous les élèves-maîtres, faisant partie du 2e contingent de la classe 40, il reçut sa feuille de mobilisation pour le 10 juin 1940 à Amiens ; mais le 9 juin, les Allemands, qui avaient bombardé la gare de triage de Sotteville, étaient déjà entrés dans Rouen… Avec dans les yeux l’image des raffineries de Grand-Couronne et Moulineaux incendiées, il partit à bicyclette avec son père et les cheminots de la région rouennaise, jusqu’au Morbihan. S’étant confectionné dans une école de village un faux ordre de mission de l’inspecteur d’Académie de Rouen, il fut de retour en Seine-Inférieure le 5 juillet 1940.

Reprenant à la rentrée 1940 son métier d’instituteur à l’école Jean-Jaurès de Saint-Étienne-du-Rouvray, c’est dans ce milieu professionnel d’enseignants et familial de cheminots qu’il trouva le chemin de la Résistance, qui se manifesta par la rédaction de tracts, de papillons polycopiés, des leçons d’histoire exaltant les luttes du passé contre les envahisseurs, et chez les cheminots par des sabotages, des modifications d’adressage : Hambourg devenant Cherbourg.

Désireux de reprendre des études conduisant au professorat, Charles Bocquet prit contact avec le professeur Césaire Levillain, directeur de l’École supérieure de commerce de Rouen et professeur d’anglais à l’École supérieure des Sciences et des Lettres. De leurs conversations se révéla une proximité d’idées et naquit une amitié qui conduisit le professeur Levillain à lui confier, à l’automne 1941, qu’il était responsable du Mouvement Libération-Nord et membre du réseau Cohors-Asturies, et à lui demander d’observer depuis l’École Jean-Jaurès les mouvements militaires allemands à la gare de triage ; ce qui était possible grâce à un collègue instituteur dont les fenêtres donnaient sur les voies.

C’est Césaire Levillain qui présenta Charles Bocquet au professeur René Maublanc réfugié non loin de là. Ce dernier lui dit que les activités de renseignements étant sous la responsabilité de Levillain, que lui et ses collègues instituteurs et amis cheminots allaient être intégrés pour la propagande et l’action, dans le « Front National », formé au printemps 1941 ; il s’en vit confier le développement local, avec pour adjoints deux instituteurs, Maurice Loritz et Bernard Doguet.

De nombreuses opérations furent menées contre les troupes d’occupation, leurs équipements, leurs moyens de liaison : grenadage du Soldatenkino rue Grand-Pont à Rouen, qui fit 20 morts, destruction du compresseur SNCF de Sotteville, coupure du viaduc de Barentin…

En avril 1943, après qu’une énorme rafle eut décimé la Résistance de Seine-Inférieure, Césaire Levillain étant lui-même arrêté, il fut informé que les polices française et allemande possédaient sinon son identité du moins son signalement, Charles Bocquet, qui avait pris le pseudonyme de Fournier, passa à la clandestinité totale, se réfugiant à Touffreville et Lisors dans le Vexin normand, non loin des Andelys, où il participa aux activités de la Résistance locale. Les rescapés de la rafle l’estimant « brulé », il dut quitter la Normandie pour Paris.

Sans contact précis à l’arrivée dans la capitale, c’est par l’intermédiaire de Noël Arnaud qu’il fut mis en contact avec le capitaine Platard et, grâce à lui, avec un représentant des FTP. Noël Arnaud était depuis 1941 l’animateur de la revue littéraire semi-clandestine La Main à Plume, qui compta parmi ses auteurs et illustrateurs Maurice Nadeau, Paul Éluard, René Magritte, Picasso, André Stil …et Charles Bocquet. Le Musée de la Résistance Nationale de Champigny conserve dans ses archives une lettre autographe manuscrite de Charles Bocquet datée à Rouen du 19 novembre 1942 et adressée à Noël Arnaud, dans laquelle il le félicite pour son travail d’éditeur et de poète, entre autres pour la publication de « Poésie et vérité 1942 » d’Éluard, Charles ayant participé à la relecture des épreuves de son célèbre poème « Liberté ».
Il se vit confier plusieurs tâches pour l’état-major national FFI en formation : transport de copies clandestines à Cannes, mission dans le Nord, où il retrouva André Stil… Il devint officier de liaison de l’Etat-major national FFI, fonction dans laquelle il fut confirmé quand Alfred Malleret-Joinville succéda comme chef de l’EMN-FFI au général Dejussieu-Pontcarral arrêté.

Plusieurs chutes ayant affecté peu avant le Débarquement les mouvements de Résistance de Seine-Inférieure, FN et FTP, Libé-Nord, OCM, ORA, CDLR, Charles fut missionné par Alfred Malleret-Joinville, pour y reconstituer les états-majors FFI normands désorganisés par la répression. Arrivé à destination via les Andelys, Charles Bocquet, qui avait désormais le pseudonyme clandestin de « Pecqueur », remit en place en Seine-Inférieure des états-majors FFI de secteur à Dieppe, à Yvetot, au Havre, dans le Pays de Bray, à Rouen, en faisant appel à d’anciens cadres du Front National, tel un ancien camarade d’école depuis l’âge de 10 ans, Jean Derrien, ainsi qu’à des responsables d’autres mouvements tels l’OCM et Libé-Nord. Il en fut de même pour la région de Gisors, partie de l’Eure située sur la rive droite de la Seine. Suite à la mort du chef départemental FFI, il se vit aussi confier la responsabilité du Calvados.

Le Calvados et la partie de l’Eure au sud de la Seine dépendant de la Région M de la Résistance, ayant son siège à Rennes, tandis que la Seine-Inférieure et la partie de l’Eure située rive droite dépendaient de la Région A, ayant son siège à Lille, cela créa un fonctionnement difficile qui conduisit Alfred Malleret-Joinville à rassembler les trois départements dans une subdivision de la Région M, en en confiant le commandement au « lieutenant-colonel Pecqueur », c’est-à-dire Charles Bocquet qui, de « Délégué régional de l’Etat-Major National FFI pour la Haute-Normandie », devient « Chef de la subdivision M 5 » ; une responsabilité qui, après la Libération, étant engagé volontaire depuis le 1er septembre 1944 pour la durée de la Guerre, lui valut d’être intégré à l’état-major de la 3e région militaire, ayant son siège à Rouen et placée sous le commandement du général Legentilhomme. Mais auparavant, en cet été 1944, pendant plusieurs semaines, les FFI de la subdivision M5 harcelèrent la Wehrmacht qui faisait retraite depuis le Calvados et l’Orne et tentait de passer sur la rive droite de la Seine.

La Libération de l’essentiel du territoire acquise mais la Guerre continuant, Charles Bocquet rejoignit en janvier 1945 le Centre de perfectionnement des Officiers supérieurs FFI à Provins où il côtoya Henri Rol-Tanguy, avant d’être affecté le 19 mars 1945 à la 1ère Armée française, au 151e Régiment d’Infanterie, le 15-1, au sein de la 2e Division d’Infanterie Marocaine. Il abandonna un grade pour pouvoir exercer un commandement effectif pendant la campagne d’Allemagne, qu’il reçut comme chef de bataillon. Il combattit dans la Forêt Noire, y échappant une ou deux fois à la mort, dans le sud de l’Allemagne jusqu’au lac de Constance et le Voralberg-Tyrol autrichien.

Après la victoire, il fut, le 3 août 1945, nommé Secrétaire français du Directoire Politique du Conseil de contrôle interallié, et fut en poste à Berlin, puis, le 4 avril 1946, il fut chargé de mission du ministre de l’Armement en zone française d’Occupation avant d’être nommé, en poste à Freudenstadt, Chef d’état-major de la Direction du désarmement industriel en Zone Française d’Occupation auprès du général Koenig, commandant en chef. De retour en France, il fut nommé le 20 octobre 1948 commandant en second du 8e Bataillon d’infanterie à Rouen avant d’être mis en congé sans solde le 20 février 1949, ayant manifesté l’intention de réintégrer l’enseignement.

Il en alla autrement. Collaborant anonymement ou sous pseudonyme quand il était militaire au Journal des anciens FTP France d’Abord, alors en difficulté, il fut sollicité d’y apporter son concours. En avril 1951, ayant récemment accédé au Bureau national de l’Association des Anciens FTPF, il accepta d’en devenir secrétaire général-adjoint à la place de Casimir Lucibello parti à l’ARAC. C’est la période pendant laquelle s’amorça puis s’approfondit la réflexion conduisant à dépasser l’Association des Anciens FTPF en l’ouvrant aux non-militaires, tels les membres du Front National – Pierre Villon ne pouvait jusque-là y adhérer – ainsi qu’aux Résistants de tous mouvements, de toutes sensibilités. Cette démarche, dont Charles (Fournier)-Bocquet fut le promoteur, recueillit l’appui de Régine Lacazette, de Robert Vollet, venu de l’AS, d’Alfred Malleret-Joinville, de Pierre Villon, de Jean Freire à France d’Abord.

Le congrès de 1952 fut une première étape, transformant l’Association des anciens FTP présidée par Charles Tillon en « Association Nationale des Anciens Combattants de la Résistance Française ». Tillon restant président, Pierre Villon en devint secrétaire général, avec Charles Fournier-Bocquet et Robert Vollet comme adjoints (une majorité du bureau restant encore composée de membres ou proches du Parti communiste, auquel Charles Fournier-Bocquet avait adhéré dans la clandestinité de l’Occupation et dont il restera membre à Aubervilliers jusqu’à sa disparition en 2014).

C’est lors du congrès suivant, à Limoges en 1954, que s’enracina définitivement, non sans débats internes, la démarche unitaire et pluraliste de l’ANACR, avec Pierre Villon comme président et comme secrétaire général Charles (Fournier-)Bocquet, qui assuma cette responsabilité pendant plus de soixante ans, très attaché à l’indépendance de l’ANACR à l’égard des partis politiques (ainsi il s’opposa aux tentatives d’instrumentalisation de l’Association par l’une et l’autre des parties dans le conflit opposant Charles Tillon au Parti communiste), des pouvoirs publics (l’ANACR n’en reçut aucune subvention), des puissances financières (son Journal de la Résistance-France d’Abord ne fit jamais appel à la publicité).

Le talent de rassembleur qu’avait Charles Fournier-Bocquet, appuyé par Pierre Villon et Jacques Debu-Bridel, permit à l’ANACR de mener dans l’unité de ses rangs des campagnes de masse contre la Communauté Européenne de Défense et le réarmement allemand, qui réinséraient des anciens militaires nazis, contre le général nazi Speidel, pour le châtiment des criminels de guerre, pour la paix, pour la levée des forclusions privant les Résistants de la reconnaissance de leurs titres et de leurs droits, contre les poursuites frappant les Résistants tels George Guingouin, qui lui permit de traverser une période difficile lors des événements de 1958 – un soulèvement militaire à Alger débouchant sur le retour au pouvoir du Général de Gaulle - dont l’appréciation fut différenciée parmi les anciens Résistants, de lutter pour que soient châtiés Barbie, Touvier, Papon, contre le négationnisme et les résurgences contemporaines du fascisme, pour – et ce fut une dernière grande bataille à laquelle il prit part jusqu’à ce que la maladie l’en écarte de manière active - l’instauration d’une Journée Nationale de la Résistance, le 27 mai.

Son combat de Résistant, celui qu’il mena au sein de la Ière Armée, lui valurent la Médaille de la Résistance, la Croix de Guerre avec palme et deux étoiles, celle de Combattant volontaire, trois citations, et la Légion d’honneur, dont il était Officier.